Consultation au centre sanitaire Madarounfa et N'yelwa, région de Maradi, Niger
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Alerte Épidémie : une innovation pour améliorer la surveillance sanitaire au Niger

Lancé par La Fondation MSF en 2020, avec pour objectif d’améliorer la détection et la réponse aux épidémies dans des contextes précaires, la plateforme innovante “Alerte épidémie” a permis de renforcer les systèmes de surveillance sanitaire du Niger.

Retour sur les réussites, les apprentissages et les défis rencontrés, avec Beatriz Beato-Sirvent, qui a supervisé cette initiative. 

Beatriz Beato-Sirvent, Paris janvier 2025
Beatriz Beato-Sirvent, Paris janvier 2025

Depuis quand travaillez-vous sur le projet Alerte Épidémie ?  

Beatriz, directrice adjointe de la Fondation MSF et cheffe de projet Alerte Epidémie : Je travaille sur ce projet depuis janvier 2023, date à laquelle j’ai rejoint la Fondation MSF. Le projet était déjà bien engagé, puisqu’il a commencé avec le COVID. Il a été initié d’une manière originale en proposant au Ministère de la santé, la mise à disposition de ressources (principalement des développeurs avec lesquelles la Fondation avait déjà travaillé) et de notre expertise pour les accompagner durant la crise sanitaire Nous nous sommes alors associé à Épicentre, le centre d’épidémiologie de MSF, qui est implanté au Niger afin de répondre au mieux à leurs ambitions. Ils voulaient de l’aide pour identifier les cas de COVID. Nous avons également fait appel à Medic Mobile, une ONG également présente au Niger, afin de développer une plateforme appelée Alerte COVID19 pour faciliter la notification des cas.  

 

Et par la suite, comment a évolué ce projet ?  

Beatriz : Très rapidement, il est apparu que l’application fonctionnait bien, même au-delà des cas de COVID. Les autorités ont alors demandé si nous pouvions étendre cette technologie à d’autres pathologies épidémiques. En 2021 nous avons donc élargi le projet et développé Alerte Épidémie, en utilisant le même logiciel pour surveiller la rougeole, la méningite et le choléra. Un premier pilote a été lancé dans cinq centres de santé, ainsi qu’à l’hôpital de Maradi. Sur place, le personnel a été formé et équipé de tablettes permettant le relai de l’information. L’alerte historique, elle, reste émise par les agents de santé communautaires, qui parcourent les zones rurales set peuvent appeler le centre de santé. L'alerte digitalisée peut ainsi être donnée avec un simple téléphone. Même sans connexion Internet.  

 

Quelle est l’innovation, quels avantages apporte l’application Alerte Épidémie ?  

Beatriz : Pour bien comprendre, il faut voir que le système précédent reposait sur des méthodes papier, où l’agent de santé communautaire devait remplir une fiche, se rendre au centre de santé local pour transmettre l’alerte à l’infirmier, qui à son tour devait informer le district. Ce processus pouvait prendre plusieurs semaines. Avec Alerte Épidémie, toutes les informations sont partagées en 24 heures, permettant une réponse beaucoup plus rapide. Et dans le cas d’une maladie a potentiel épidémique, vous imaginez-bien que cela fait une énorme différence.  

 

Pourquoi le Niger est-il un lieu pertinent pour ce type de projet ?  

Beatriz : Le Niger, est un immense pays, situé dans ce qu’on appelle la ceinture méningitique de l’Afrique. C’est une région ou la méningite est très présente. Le Niger est également particulièrement vulnérable aux épidémies de rougeole et de choléra. Pour nous, il y a une plus-value à mettre en place ce type de plateforme dans une région avec un potentiel épidémique élevé. Plus tôt une épidémie est notifiée, plus vite on peut y répondre, enquêter et mettre en place des activités de prise en charge et de vaccination. 

 

Quels ont été les résultats de l’étude préliminaire ?  

Beatriz : Après un an de mise en place, les résultats ont été très positifs. Nous avons présenté un rapport aux autorités du district et au niveau national, et ils ont été convaincus par la solution. Nous avons ensuite travaillé à l’interopérabilité d'Alerte épidémie avec le système de gestion des données médicales du Niger, le système DHIS2.  

 

Que s’est-il passé en 2023 ?  

Beatriz : En juillet 2023, juste après la présentation de la plateforme au ministère de la Santé, il y a eu un coup d’état le 26 juillet. Suite à ce changement de gouvernement, nous avons continué à planifier le déploiement, mais peu à peu, force a été de constater que les nouvelles autorités ne portaient plus autant de soutien à notre projet. Finalement, le ministère de la Santé a décidé de ne pas adopter Alerte Épidémie, préférant une autre plateforme pour le suivi des épidémies dans le pays.  

 

Quelle a été votre réaction face à cette décision ?  

Beatriz : Nous avons arrêté le projet et capitalisé sur ce qui avait été fait, en fournissant un mode d’emploi et un rapport de capitalisation au ministère de la Santé Nigérien. Malgré ce revers, l’expérience acquise pourrait être utile dans d’autres contextes. Nous avons conscience que nous intervenons dans des contextes volatils, cela fait partie du métier et de notre rôle, à la Fondation, d’innovateur. On accepte les risques inerrants. Ce n’est pas pour autant un échec. Nous avons appris et nous avons capitalisé. Nous espérons que cette expérience pourra être diffusée à d’autres sections de MSF ou dans d’autres pays. 

 

Où par exemple ?  

Beatriz : Il y a d’autres pays dans la fameuse ceinture méningitique, comme le Tchad, où MSF est présent. Pour cela, il faut avant tout que les autorités locales comprennent et adhèrent à l’idée de faciliter la gestion des épidémies avec ce type de plateforme. Pour un Etat, c’est un investissement initial, mais cela facilite les choses à long terme. 

 

Et vous, que retenez-vous de ce projet ?  

Beatriz : J’ai beaucoup apprécié ce projet parce que j’ai personnellement longtemps travaillé sur le terrain dans des contextes épidémiques, et je sais ce que c’est d’avoir une alerte tardive et une riposte retardée. Cela augmente le nombre de cas, le nombre de morts et le nombre de malades. Ce projet d’application d’alerte est vraiment très utile et pertinent, surtout dans ces contextes et ces régions où les zones rurales sont parfois très étendues. Cela change le paradigme de la gestion des épidémies, cela permet d’intervenir beaucoup plus tôt et de réduire l’impact. Donc je suis très contente d’avoir participé au développement de ce projet et j’espère que ce n’est pas la fin de l’histoire.  

 

J’ai longtemps travaillé sur le terrain dans des contextes épidémiques, et je sais ce que c’est d’avoir une alerte tardive et une riposte retardée. Je suis très fière d’avoir participé à ce projet et j’espère que ce n’est pas la fin de l’histoire.  
Beatriz Beato-Sirvent, Paris janvier 2025
Beatriz Beato-Sirvent
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