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Interview de Natalie Roberts : les projets Alerte COVID-19 et SMS Afia Yetu

Natalie Roberts est directrice d’études au Crash et program manager à la Fondation MSF. Lors de la première vague de la pandémie COVID-19, elle a participé à la mise en place de deux applications de santé numérique.

Elle aborde ici le champ de la santé numérique et le challenge qu’a représenté le COVID dans la recherche sur ces questions. Nous découvrons dans cette interview les besoins à l’origine des projets « Alerte-Niger » et « SMS Afia Yetu », les étapes de leur élaboration mais également les obstacles rencontrés par les équipes MSF (le contexte sanitaire, les relations avec les partenaires, les idées reçues sur la population).

Comment sont nées les applications Alerte COVID-19 au Niger et SMS Afia Yetu en république démocratique du Congo ?

La santé numérique n’est pas un sujet inédit pour MSF, mais la pandémie COVID-19 nous a poussés à nous repencher sur ces questions.

La Fondation, via sa directrice, avait l’opportunité de travailler avec des ingénieurs bénévoles de Google.org, pour quelques semaines afin de développer des projets numériques liés à la pandémie. Après une comparaison de plusieurs éditeurs d’applis, notre choix s’est porté sur Medic Mobile, une organisation à but non lucratif qui développe des logiciels open source pour des projets de santé communautaire dans des contextes à faibles ressources. L’enjeu pour nous était de savoir si ça allait aider nos équipes ou nos patients, car l’idée n’était pas de mettre en place un outil juste pour l’outil. Il fallait que ce soit simple, adaptable au contexte et que ça réponde à des besoins opérationnels. La Fondation offre cette possibilité : gérer le risque et initier un pilote pour voir s'il est utile. Nous avons lancé des discussions avec Epicentre et avec les cellules et le département médical. Souvent, les équipes étaient intéressées par la thématique mais elles ne voyaient pas le besoin. Deux opportunités se sont néanmoins présentées.

A Goma, où nous soutenons le programme VIH du ministère de la santé, la cellule souhaitait utiliser un outil de suivi des patients souffrant de maladie chronique. A l’heure de la pandémie COVID-19, ne sachant pas si les patients VIH étaient susceptibles de développer une forme grave de la maladie, l’équipe avait réduit les contacts en face à face avec les patients pour ne pas prendre le risque de les infecter. Ne pouvant plus assurer un suivi physique régulier, ils voulaient développer le suivi à distance pour leur maladie chronique, tout signe d'infection à COVID-19 ou tout problème de santé lié aux mesures de lutte contre la pandémie qui pourrait réduire leur accès aux soins. L’idée a pris forme après presque un mois de brainstorming. Nous avons évalué divers projets qui suivent des cohortes de patients atteints de maladies chroniques, dont le VIH, mais pour diverses raisons, Goma semblait être l'endroit le plus prometteur pour un projet pilote. L'un des facteurs a été le fort intérêt porté à cette idée par certains des patients de la cohorte, ainsi que par nos homologues du ministère de la Santé.

Au Niger, les autorités sanitaires avaient peur de passer à côté de cas de COVID-19, une maladie qui évolue vite et nécessite une réponse rapide. Pour développer la riposte, il fallait donc trouver les patients assez tôt. Le ministère de la Santé a donc sollicité Epicentre pour un appui sur le suivi de l’épidémie. Le SAMU disposait d’un call center à Niamey, sans lien avec les équipes de riposte à la COVID-19 du ministère de la Santé, décentralisées et mobiles, qui se déplacent pour mener des investigations quand il y a une alerte (tests, triage, soins à domicile…). La plateforme Alerte COVID-19 permet de mettre du lien dans tout cela et de mieux faire remonter les alertes.

Ces projets ont-ils permis de replacer les besoins des autorités de santé et des patients au centre de l’approche MSF ?

Dans ces deux projets, les besoins sont venus des équipes terrain de MSF et Epicentre, qui continuent à être des moteurs en proposant de nouvelles idées et solutions, avec le soutien de la Fondation, de l’équipe Epicentre à Paris, de la cellule, du département médical et du juridique, etc.

Pour le Niger, Epicentre a abordé les autorités en leur demandant en quoi on pouvait leur être utiles plutôt que de proposer un outil tout fait et le piloter : il y a eu une vraie collaboration avec les autorités qui voulaient améliorer leur système de surveillance et réduire les délais entre le moment où un cas est identifié et la réponse. Elles aimeraient d’ailleurs adapter le même outil pour d’autres maladies épidémiques (rougeole, cholera, méningite).

A Goma, la problématique était différente. Nous n’avions pas toujours une bonne compréhension des problèmes des patients de notre cohorte VIH, que nous perdions régulièrement de vue. La communication entre les patients et MSF ou le système de santé en général se bornait souvent aux rendez-vous. Avec ce dispositif, les patients devraient recevoir régulièrement par SMS des questions aidant au diagnostic et être rappelés, en fonction de leurs réponses, par l’équipe MSF qui reçoit une alerte dans une application sur smartphone. Cela donne la possibilité d’une communication bilatérale entre patient et équipe en fonction des besoins. D’autre part le logiciel est programmé pour trier les alertes afin d'aider le personnel à organiser son travail. C’est simple, facile et on pense que les gens vont l’utiliser. Jusqu’ici, les patients sont enthousiastes car ils ont enfin la possibilité de participer au soin. L’idée est d’intégrer ce dispositif dans la vie des patients et de pouvoir les suivre plus régulièrement, même en dehors de la pandémie. Ils ont également été très disposés à participer au développement de l'application, en testant le système et en donnant leur avis. À un stade précoce, il semble déjà que le développement de l'outil puisse renforcer la relation entre les patients et leurs soignants. Mais il y a de nombreuses contraintes techniques que nous ne maitrisons pas encore, comme la livraison des SMS et la stabilité des opérateurs télécom. Comme pour tout nouveau système, de nombreuses difficultés apparaissent chaque jour que nous résolvons avec l’équipe, les unes après les autres… C’est une véritable course de fond !

Dans les deux situations, nous misons sur l’idée de déployer des outils simples et adaptés au contexte qui permettent aux patients et aux soignants de déclencher eux-mêmes une alerte au niveau approprié pour permettre une réponse rapide et adaptée, tout en continuant leurs activités habituelles. Nous pensons que cela pourrait être utile dans l'approche des épidémies en général, où il est vital d’éviter tout retard.

Quels obstacles ont pu bloquer les équipes MSF ?

Au départ, il a été un peu difficile de lancer la discussion sur les différentes façons d'aborder une maladie dont nous ne savions pas grand-chose, et de proposer de consacrer des ressources en moment de crise à un concept qui n'a pas fait ses preuves. Dans les premiers stades de la pandémie, beaucoup de terrains étaient plutôt focalisés sur l’établissement de centres de traitement.

Quand on a commencé à échanger avec le département médical et les opérations, certains ont saisi l’opportunité, d’autres ont partagé des réticences liées à l’implication d’une société tierce, ce qui a donné lieu à de nombreuses discussions entre la directrice de la Fondation et le département juridique. Pour moi, Big Tech c’est comme Big Pharma. On ne peut pas soigner les patients sans médicaments et on n'est pas en capacité de fabriquer nos propres médicaments. Il faut donc comprendre comment travailler avec eux ! Collaborer avec des sociétés dont c’est le cœur métier est essentiel à notre apprentissage.

Une autre réserve reposait sur l’idée discriminatoire que sur nos terrains d’intervention, la population n’allait pas comprendre, que les gens n’ont pas de smartphone, pas accès à internet, ne parlent ni français ni anglais… Pourtant, il existe aujourd'hui très peu de projets où nos patients n'ont pas accès au moins à un simple téléphone portable, et dans de nombreux endroits, l'utilisation des plateformes de médias sociaux est énorme.