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Retour sur l’expérience Afya-Yetu à Goma, République Démocratique du Congo (RDC).

En 2020, en RDC, la cohorte de malades VIH suivie par MSF subit de plein fouet l’arrivée de l’épidémie COVID-19 et la précarisation de leur suivi médical. Difficulté à venir au centre de santé, difficulté potentielle à s’approvisionner, à se déplacer et à être en contact avec les soignants. La Fondation MSF et les équipes terrain ont donc cherché une solution en s’appuyant sur leur expérience et l’expertise de leur partenaire Medic (une ONG qui fournit et soutient des logiciels open-source pour les personnels de santé dans les communautés difficiles d'accès) : ensemble, pendant 3 ans, ils ont travaillé au projet Afya-Yetu. 


Retour sur ce projet à présent terminé :  les réussites, les difficultés, les échecs et les leçons que La Fondation MSF et ses partenaires ont tiré de cette aventure.

La survenue de la pandémie de COVID-19 avait déclenché, par la grande majorité des gouvernements, la mise en place de mesures de limitation des mouvements et de contacts afin de réduire la propagation du virus. Nos équipes, comme beaucoup d’acteurs de santé dans les LMIC (Low and Middle Income Country), ont redouté que ces différentes mesures aient un impact négatif sur le suivi de patients vivant avec le VIH (PVVIH) et particulièrement pour certains d’entre eux, les plus vulnérables, comme les patients en suspicion d’échec thérapeutique, les patients coinfectés VIH et Tuberculose, les femmes enceintes et allaitantes, les patients avec co-morbidités (hypertension artérielle/diabète), etc.  La problématique était donc d’améliorer le suivi manuel téléphonique d’une large cohorte avec un personnel réduit.

Dans ce contexte, et pour répondre à cet enjeu majeur, La Fondation MSF a proposé l’utilisation d'une messagerie SMS automatisée dans le but de faciliter un suivi individualisé, automatisé et hiérarchisé des PVVIH à distance, en complément ou remplacement des consultations médicales rendues plus complexes, pendant la période de pandémie par COVID-19. C'est sur cette proposition qu’a été conçu et développé un outil numérique « SMS AFYA YETU ».

L’objectif de cet outil était de permettre aux personnels de santé de mieux suivre les patients vivant avec une maladie chronique, en particulier ceux présentant des vulnérabilités médicales et/ou sociales, d’identifier et de signaler rapidement les problèmes susceptibles d’entraîner des difficultés dans l’adhésion à leur traitement ou une détérioration de leur état de santé.

Cet outil permettait ainsi :

  • L’envoi régulier, via la plateforme numérique, de questions simples et automatisées par SMS, à destination des patients qui pouvaient répondre à un choix multiple par envoi de chiffre sur leur clavier de téléphone.
  • L’assignation des tâches de suivi médical aux membres de l’équipe médical MSF avec des niveaux d’alerte en fonction des symptômes et problèmes relevés.
  • La création d’une base de données mise à jour 24/24 – 7/7 accessible pour l’équipe médicale MSF afin de suivre le progrès sur le terrain et apporter un support supplémentaire si besoin.

Très rapidement, la phase pilote du projet a démarré et a démontré que l’outil était performant.

Le projet Afya Yetu ciblait les personnes vivant avec le VIH inscrites au programme mis en place par MSF et le Ministère de la Santé à Goma ayant des facteurs de risque qui les rendaient plus vulnérables à la survenue éventuelle de symptômes associés au  COVID-19, notamment :

  • Facteurs de risques relatifs au VIH : Co-infection Tuberculose, échec du traitement de première ligne, admission récente à l'hôpital.
  • Facteurs de risque pour la Covid-19 : hypertension, diabète, VIH à un stade avancé.

Le nombre total de patients ciblés par le projet Afya Yetu était d’environ 1000 PVVIH (jeunes adolescents vivant avec le VIH, patients instables suivis en ambulatoire et/ou en post hospitalisation, patients coinfectés VIH-Tuberculose et femmes enceintes et allaitantes).  La phase pilote a été conçue pour tester l’outil avec une population restreinte nécessitant un suivi rapproché afin de voir les résultats concrètement sur le terrain avant d’étendre l’application sur d’autres populations si nécessaire.  Pendant 4 mois, en 2021, la plateforme Afya Yetu a été testée sur 30 patients. Ces patients se sont portés volontaires pour participer à cette évaluation et ils possédaient un téléphone avec une puce opérationnelle Airtel ou Orange fournie par le projet.

Un déploiement à grande échelle qui n’a pas pu se réaliser.

Les résultats de cette phase pilote ont été très satisfaisants. Au moment de nous lancer, avec nos partenaires, dans la phase de déploiement à plus grande échelle, les équipes ont été confrontées à plusieurs difficultés techniques, administratives et contextuelles. Plusieurs raisons expliquent aujourd’hui l’échec du déploiement.

Les difficultés conjoncturelles :

  • Nos partenaires techniques (Medic) ont réalisé tardivement qu’il était nécessaire, pour faciliter le déploiement à grande échelle et garantir la gratuité pour les patients, d’opérer via un numéro vert/gratuit.  MSF a négocié avec succès-son obtention (octroyé en mars 2021) mais cela a nécessité plusieurs mois de tractation, relance et suivi.
  • Il a ensuite fallu plusieurs mois pour trouver une entreprise informatique locale, seule ayant la capacité de fournir l’API permettant de traduire l’algorithme médical en langage SMS et capable d’envoyer des SMS en masse (Bulk SMS service provider)
  • Il fallait ensuite négocier avec chaque opérateur des crédits prépayés. Les négociations ont à nouveau pris des mois sans que nous n’en comprenions réellement la raison. Notre dernière hypothèse était que notre demande était très peu attractive et trop modeste en qté/mois par rapport à d’autres grands acteurs humanitaires.


Les difficultés contextuelles :

  • Malheureusement, au moment où ces problèmes techniques ont été résolus après un temps tout de même très long, c’est une décision opérationnelle de MSF qui a stoppé le déploiement : la fermeture du projet VIH Goma en 2023. Sans base opérationnelle forte, La Fondation MSF a naturellement décidé d’arrêter les démarches pour le déploiement.


Ce projet, qui a fait l’objet d’un rapport de capitalisation, a fait beaucoup progresser les équipes et la compréhension du cycle projet et des acteurs sur lesquels reposent un projet multi partenarial tel que celui-ci

Des éléments de satisfaction et de réalisation.

  • Capacité d’action rapide et mobilisation transversale : La Fondation MSF a réussi à mobiliser rapidement un partenaire technique déjà connu (Google.org), les référents techniques d’MSF (VIH, Tuberculose), les opérations/le terrain Goma, un partenaire technique basé en Afrique (Medic Mobile). L’évaluation du besoin, des problématiques et risques ainsi que la modélisation et le design de la solution visant à contrer les effets néfastes indirects de l’épidémie de Covid-19 sur la santé d’une population extrêmement vulnérable, ont été effectués en quelques mois.   
  • Dans un contexte de déplacements impossibles, l’outil a pu être réalisé par un travail exclusivement réalisé à distance, grâce à l’enthousiasme d’une équipe multidisciplinaire et l’implication forte de nos équipes terrain à Goma.
  • La solution trouvée correspondait bien à ce que les équipes terrain souhaitaient réaliser:  parvenir à garder un suivi rapproché de l’ensemble de la cohorte (3 000 patients) pendant la pandémie. La solution trouvée répondait au cahier des charges et permettait aux infirmiers et sans surcharge de travail de suivre l’ensemble des patients tout en automatisant la priorisation des personnes les plus vulnérables nécessitant appel et/ou visite, le tout avec le même nombre d’infirmiers (automatisation des SMS vs temps dédié au téléphone).
  • La solution trouvée a été travaillée et discutée avec les patients de notre cohorte test (30 patients). Elle était innovante et inédite dans le cadre du suivi thérapeutique indispensable pour ce type de pathologies chroniques. Cette phase pilote a ainsi prouvé qu’il était possible d’améliorer la qualité du suivi et de la hiérarchisation des besoins dans un contexte précaire et volatile. Elle s’est appuyée sur notre approche centrée sur le patient et la réussite de cette phase pilote est essentiellement due à leur intégration dans l’étape de conception de l’application et à la prise en compte de leurs retours pour améliorer l’outil.

Ce que nous avons appris de cet échec.

Les équipes ont beaucoup appris sur l’importance dans des projets montés avec une composante mobile forte de bien identifier les responsabilités techniques et administratives entre nous et nos partenaires. La prise en compte des contraintes techniques est clé dans ces contextes précaires : les possibilités offertes par le réseau de téléphonie local doivent être impérativement réalisées en amont, même dans une situation d’urgence: de quel équipement doit disposer la population cible, la qualité du réseau sur la région cible, le coût d’achat d’un parc de téléphones, la capacité de stockage des données, et une compréhension des relations entre les différents institutions gouvernementales, des divers intérêts commerciaux, etc.

D’autre part, l’interopérabilité des plateformes développées était clé, et doit faire l’objet d’une analyse poussée : dans le cas de ce projet, la plateforme qui gère les SMS (RapidPro) vs l’outil développé par Medic (CHT) vs le prototype développé par Google.org pour créer l’algorithme de suivi.

Ces éléments sont à présent intégrés dans toutes les explorations des projets Fondation MSF.

Enfin, ce projet nous a permis de mesurer l’importance de l’implication des patients dans la conception de nos projets. Si nos outils répondent aux besoins d’équipes médicales, ils sont aussi le cas échéant des outils pour nos patients, il est impératif de travailler sur l’environnement social et économique pour assurer l’adhérence au système.

La capitalisation de nos acquis sur cette phase pilote nous permet aujourd’hui d’envisager un support optimal aux acteurs d’MSF qui voudraient tenter une nouvelle approche sur la surveillance d’une large cohorte, et/ou du suivi de maladies chroniques

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