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Retour sur 2023 : engagement et ténacité. Par Clara Nordon

L’année 2023 a illustré à de nombreux égards les forces et lignes de crête de La Fondation MSF. Ce fut aussi une année riche en enseignements. Ce moment d’analyse rétrospective nous permet donc de prendre conscience du capital que représentent ces connaissances acquises afin d’avancer vers 2024 avec une feuille de route claire et ambitieuse.  

A la fin de l’année 2022, nous faisions le constat d’un portefeuille de projet en phase de maturité et pour la grande majorité d’entre eux de passation. 2023 s’est inscrite dans cette continuité mais a aussi vu émerger de nouveaux projets sur de nouvelles pratiques médicales spécialisées mais sans nouvelles technologie. Le bilan que nous pouvons tirer de ces dernières années est que nous hébergeons, sans surprise, des projets s’inscrivant dans la durée et qui nécessitent engagement, investissement et ténacité. Ces projets ont par ailleurs constitué une formidable opportunité d’acquérir un large panel d’expertises et de compétence nouvelles qui nous permettent d’envisager l’avenir avec enthousiasme. C’est ce que j’avais à cœur de vous décrire aujourd’hui. 

Pour commencer je voulais illustrer davantage en quoi la ténacité de nos engagements est nécessaire à notre positionnement au sein de l’univers MSF. En effet, les discussions préliminaires sur l’aide à l’interprétation des antibiogrammes (AstApp>>Antibiogo) ont débuté en 2017, les premiers échanges avec l’institut Pasteur de Dakar (Diatropix) pour renforcer les capacités de production africaine sur les tests de diagnostic rapides remontent à fin 2016, quant au projet sur le dépistage du cancer du col, il fut initié lors de discussions avec le National Cancer Institute américain dès la fin 2019. Transformer une idée en pratique opérationnelle, transposer un prototype vers son utilisation massive dans le monde réel demande du temps. Cela requiert patience, force de conviction et une capacité d’adaptation aux contextes particulièrement évolutifs que sont les nôtres. Il s’agit pour les équipes de La Fondation MSF de faire preuve de pédagogie et de fédérer sans relâche les nouveaux coordinateurs terrains et ce malgré le turnover naturellement plus court sur les terrains d’intervention. Cet engagement soutenu sur plusieurs années permet également de maintenir le cap au fil des évolutions du plan stratégique. La complémentarité avec l’association sur la poursuite de projets au long court est pour moi un des facteur clé de succès de La Fondation.  

La Fondation est un organisme vivant, qui s’adapte à son écosystème mouvant lui aussi, et c’est cette perpétuelle capacité d’adaptation qui permet aux projets de voir le jour, d’émerger dans le réel. Et c’est aussi cette volonté d’implémenter de vraies solutions et outils médicaux utiles plus que de réfléchir à des concepts innovatifs hors sol, qui m’amène à parler d’un point important à ce stade:  

La Fondation MSF n’est pas techno solutionniste. Le champ de nos interventions n’est définitivement pas cantonné aux innovations technologiques. Notre expérience récente de projet autour de la réhabilitation (sujet du webinar du 14 mai 2024) a révélé la pertinence de notre participation à l’introduction de nouvelles pratiques médicales spécialisées. Ce qui constitue une innovation (de pratique) sans pour autant être déclenché par un dispositif technologique.  

Voici concrètement, en quoi cela consiste. 

Pour donner un ordre de grandeur, il a fallu aux équipes de La Fondation MSF près d’un an de travail avant de pouvoir ouvrir ces nouvelles activités de rééducation. Pourquoi ? Parce qu’il nous fallait préalablement recueillir les besoins du terrain, les hiérarchiser, sélectionner les premiers terrains d’évaluation, trouver les bons spécialistes de rééducation (non seulement experts de leur domaine mais prêts à quitter la France pour la Syrie, le Yemen ou le Tchad !) et identifier des réseaux pour éventuellement venir nourrir le pool des volontaires. Une fois sur les terrains il a fallu dimensionner les besoins, évaluer les compétences locales et adapter un protocole de formation et de prise en charge qui puisse être pérenne. Tout ce travail préalable permet de livrer une idée claire du coût bénéfice patient qui sera ensuite utile aux missions dans leurs choix opérationnels. Il y a une part indéniable d’inconnu et de risque à investir autant de ressources et de temps. C’est pour moi l’une des forces de La Fondation. Force de frappe et indépendance qui reposent essentiellement sur nos capacités financières et donc sur vous donateurs. 

L’autre point que je souhaitais aborder ici est la variété d’expertises réunies pour le développement des projets ces dernières années et l’enjeu autour de leur capitalisation.  

Les échanges permanents avec les équipes de nos terrains d’intervention, avec nos partenaires experts ainsi que les recrutements ultra ciblés ont constitué au fil des années une incroyable source de développement de compétences au sein de La Fondation. Prenons l’exemple d’Antibiogo : Le développement de ce logiciel de dispositif médical (software as medical device-SaMD) a d’abord conduit La Fondation à faire évoluer son statut en fabricant légal de dispositif médical (legal manufacturer répondant aux normes ISO 13485) mais au-delà de ça, le processus de certification de l’application afin d’obtenir le marquage CE, a exigé la démonstration que le dispositif répondait aux exigences générales de sécurité et de performance, la création d’une documentation technique, des évaluation cliniques et d’usabilité et enfin l’intervention d’organisme notifié, en bref a exigé la conformité aux exigences règlementaires strictes européennes afin d’industrialiser la production et de pouvoir accéder au marché. C’était un passage obligé afin de pouvoir être utilisé légalement comme diagnostic de routine dans les pays d’intervention. Cette expérience nous donne aujourd’hui de nouvelles perspectives pour héberger d’autres projets. En effet nous avons pu développer des compétences internes très spécifiques. Nous avons recruté des spécialités jusque-là inconnues au monde MSF: Person responsible for regulatory compliance (PRRC), Regulatory affairs and Quality Assurance, ingénieurs UX. Nous avons dû par ailleurs renforcer en interne une équipe dédiée aux études cliniques (de performance, d’usabilité).  

Plus récemment, son déploiement nous a permis de mesurer l’importance d’efforts combinés sur le plan politique, technologique et opérationnel, de développer des plaidoyers régionaux et d’assurer des supports locaux. En bref, les défis et apprentissages auxquels nous ont confronté Antibiogo au sein de La Fondation MSF s’apparentent à ceux d’une biotech au marché international. Une véritable entreprise sans but lucratif au sein de notre Fondation ! L’enjeu sur les prochaines années est de capitaliser tous ces savoirs et expériences afin de pouvoir en faire profiter d’autres projets de développement de produit de santé indisponible aujourd’hui dans nos contextes d’intervention.  

Ainsi chaque projet a contribué à son échelle à notre évolution.  

Toujours dans le champ du diagnostic, le projet Diatropix nous a permis de développer une compréhension fine des étapes de développement de tests rapides car sans en être le producteur direct, nous avons pu suivre et parfois soutenir différentes phases du développement (transfert de technologie, prototypage, sourcing des matériaux, études de vérification et validation, études cliniques pour valider les performances, la stabilité, la reproductibilité). Ce projet a surtout confirmé l’importance de communiquer très en amont du développement, les exigences spécifiques à MSF, afin de garantir que ces produits soient parfaitement adaptés aux conditions si particulières et souvent extrêmes des opération MSF. 

Enfin, les deux projets impliquant l’IA dans le développement d’outils de santé (Antibiogo comme AI4CC) nous ont positionné sur l’application d’une IA responsable, qui assure la protection et la confidentialité des données des patients, l’équité (essentielle pour assurer que les algorithmes ne reproduisent pas ou n’amplifient pas les biais existants), la sécurité afin de prévenir les cyberattaques et les dysfonctionnements qui pourraient mettre en danger la vie des patients. Ces exigences pour une IA éthique et fiable, sont les prérequis indispensables au renforcement de la confiance du public et nécessaires pour garantir une utilisation large et pérenne. Et c’est à cela que les équipes de la Fondation MSF se sont employées dans ces projets. 

Ce ne sont là que quelques exemples pour vous montrer à quel point les expertises internes sont nourries et grandissent avec les projets que nous amenons à maturité.  

Et aujourd’hui, cet apprentissage institutionnel nous permet de pouvoir répondre à de nombreux besoins de développement de produits de santé, sur des champs d’application très variés. 

Pour conclure, l’enjeu auquel nous aurons à faire face ces prochaines années, en concertation avec MSF, sera surtout de bien hiérarchiser et sélectionner les futurs projets de manière à assurer le maximum d’impact pour les patients. Mais il me semble que ce nouvel impératif de sélection et de choix est aussi un marqueur fort de notre succès à apporter des solutions véritablement transformatives et utiles.   

J’en profite enfin pour féliciter et remercier toute l’équipe de La Fondation MSF, cheville ouvrière de ces réalisations, dont le courage et la ténacité font le succès de nos initiatives.  

Ces réalisations et objectifs ambitieux ne pourraient se faire sans une capacité à mobiliser des ressources pluriannuelles, une capacité unique à prendre des risques et c’est à nos donateurs et nos soutiens que nous le devons. Pour tout cela, je vous adresse mes plus sincères remerciements. 

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