[Podcast] Révolution 3D
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A écouter sans modération !
Pierre Moreau est kinésithérapeute de formation, il travaille depuis cinq ans pour La Fondation MSF sur le programme 3D et revient tout juste d'Haïti.
Le projet 3D, ça part d'une idée de terrain c’est-à-dire qu’on se rend compte que sur certains de nos terrains, on n'a pas toujours la possibilité d'apporter des soins qui sont spécifiques à nos patients.
Les équipes de La Fondation MSF se sont appuyées sur la technologie 3D pour tenter, dans un premier temps, de pallier le problème de l’accès aux prothèses dans les contextes d’intervention de Médecins Sans Frontières, un enjeu majeur pour que les personnes amputées puissent retrouver leur intégrité physique et leur autonomie.
Il faut savoir que la rééducation déjà de manière générale, n’est pas toujours représentée ou bien représentée, que ce soit sur nos terrains ou que ce soit sur les pays où on travaille de manière générale, et il y a toujours une problématique autour de la rééducation : comment on prend le patient en charge à côté de son hospitalisation ? Ça a plusieurs enjeux : raccourcir sa période d'hospitalisation, le ramener à un niveau fonctionnel le plus vite possible ou essayer de limiter les conséquences des traumatismes. Et donc dans certains cas de figure, notamment chez les patients amputés, on se retrouvait souvent sans solution pour les patients.
Alors là où des fois, on a des solutions pour les patients qui sont amputés au niveau des jambes - parce que sur les lieux où on travaille, on va trouver des ateliers d'orthèses, de prothèses, qui vont pouvoir appareiller ces personnes-là - on était beaucoup plus embêtés quand il s'agissait du membre supérieur.
Et puis de manière générale, c'est une partie du corps qu'on connaît moins bien quand elle est amputée. On ne sait pas trop comment prendre en charge ces personnes-là. Souvent on se dit : « la personne marche, c'est ok », mais on ne se rend pas forcément compte de l'impact que ça a dans la vie des gens, notamment sur l'aspect socio-économique. Ce sont des personnes qui ne peuvent peut-être pas retourner au travail. Ce sont des personnes qui peuvent être mises à l'écart aussi socialement. Donc, on était souvent embêtés pour trouver des solutions pour ces patients-là.
Donc le projet 3D en fait, il part de cette idée : « Qu’est-ce qu'on fait pour des populations de patients dont on n'a pas forcément le temps de s'occuper sur les terrains ? » parce que soit on n'a pas la solution, soit parce que ça prend du temps, et ça demande aussi beaucoup de compétences spécifiques. Et pourquoi la 3D ? Parce que c'est un mode de fabrication, l'impression 3D, et ça nous permettait de rendre accessible potentiellement des appareillages qui ne l'étaient pas sur le terrain. Quand on a commencé, on ne savait pas exactement ce qu'on allait faire avec ça. Il y avait déjà des associations, il y avait déjà des organisations qui travaillaient dans ce domaine-là, qui avaient déjà réalisé des prototypes, qui avaient même appareillé des patients. Donc, on s'est librement inspirés de ce qui se faisait déjà et on a essayé de l'adapter à ce dont on avait besoin.
En juin 2017, l’équipe basée à Amman, en Jordanie, imprime des prothèses en 3D et confirme que c’est un outil déployable sur le terrain, accessible, peu onéreux et surtout adaptable aux besoins individuels des patients.
Ça a commencé comme ça. Il nous fallait un endroit pour commencer et donc, on a débuté en Jordanie. Parce qu'en Jordanie, on a accès à une population de patients parce qu'on reçoit des patients de l'ensemble du Moyen-Orient parce qu'il y a un hôpital de chirurgie de reconstruction à Amman pour Médecins Sans Frontières. Donc, on avait accès aux patients et puis, on était dans un endroit qui nous permettait de faire du développement c’est-à-dire qu'on était dans une situation plutôt facile. C'est un bon hôpital, c'est une situation relativement stable dans ce pays-là par rapport à d'autres endroits où on travaille. Donc, avec ces deux conditions-là, on a commencé à essayer de développer ces prothèses et donc de les imprimer. Et ces prothèses-là qu’on imprime, donc on utilise des imprimantes 3D qui déposent du filament plastique en fait, on va créer les différentes parties de la prothèse avec cette imprimante-là.
Et en fait, dès le départ, on a essayé d'inclure les patients dans leur prise en charge mais aussi dans la création de ces prothèses-là. Et on est partis sur des choses relativement simples, c’est-à-dire qu’effectivement quand on pense prothèse notamment sur la main, on voit un peu des choses électroniques, les mouvements un peu autonomes etc. Et en fait non, on a fait un truc très, très simple. On s'est dit : il faut que ce soit quelque chose qui soit adapté au terrain, donc il faut que ça soit léger pour que les patients puissent la porter. Il faut que ça soit confortable et puis il faut que ça ait une utilité. Donc, on a essayé de remplir doucement ces trois critères-là et donc on a essayé de faire des prothèses qui étaient relativement légères, ce que nous permettait l'impression 3D. On a essayé de faire quelque chose qui était confortable, ce que nous permettait aussi l'impression 3D, et quelque chose qui était aussi relativement esthétique pour que les patients veuillent la porter. Et puis finalement, l'impression 3D, elle nous permet de customiser, elle nous permet de personnaliser ce qu'on fait. Ce n’est pas fait pour faire de la production de masse mais ça nous permettait de voir avec les patients ce dont ils avaient besoin pour essayer de créer quelque chose. Et donc assez rapidement, en plus d’une prothèse qui vient imiter une main, on a essayé de mettre en place des outils qui soit se mettaient directement sur la prothèse, soit sur la main prothétique, et ces outils-là, on a essayé de les dessiner pour qu'ils permettent aux patients de réaliser des activités dont eux, ils avaient besoin. C'est donc là d'où venait l'utilité.
Ce sont des prothèses qui peuvent être fonctionnelles même si elles sont passives. Il n'y a pas de mouvements autonomes de la prothèse mais par contre, on essaie de faire en sorte qu'elle soit facile à utiliser et qu'elle ait une utilité spécifique pour le patient et son activité. Finalement, tout ça, ça a un intérêt parce qu’il y a une prise en charge du patient. Ce n'est pas simplement livrer une prothèse mais il y a toute une prise en charge en rééducation derrière avec des kinés, avec des ergothérapeutes, un orthoprothésiste aussi. Donc, on a essayé de recréer un environnement complet pour chaque patient. Et aujourd'hui, cinq ans après, on a quelques patients qu’on suit depuis cinq ans. Certains patients qu'on retrouve, ce sont souvent des enfants parce qu'ils grandissent et donc du coup, il faut changer les prothèses et puis les besoins changent et justement de voir cette possibilité que nous offre ce projet, c'est assez unique.
On a plusieurs patients qui ont bénéficié de ces prothèses et qui forcément nous laissent une trace dans la mémoire.
C'est une patiente qui nous vient du Yémen. Quand on l’a vue la première fois, elle avait huit ans. C'était en 2017, on venait de commencer et c’est une patiente malheureusement qui a été brûlée pendant l'enfance. Elle était dans un incendie, elle a été brûlée dans l'enfance et suite à ses brûlures, elle a malheureusement perdu sa main. Et en fait, en grandissant, son bras n’a pas grandi exactement de la même manière, à cause de ses brûlures, que l'autre côté qui n’était pas touché par les brûlures. Donc, on avait une patiente qui n’avait jamais été appareillée, qui avait une amputation au niveau de la main avec son bras qui était aussi avec ses séquelles de brûlures. Donc, c'était particulier à appareiller déjà de manière conventionnelle. Et cette petite patiente quand on l'a vue la première fois, on était un peu bloqués parce qu'on commençait. On ne savait pas trop comment on allait faire et puis elle voulait vraiment une prothèse parce qu'elle voulait retourner dans son pays et puis pouvoir aller à l'école sans avoir peur de se montrer comme ça.
Même si elle était un peu habituée, elle voulait vraiment changer ces aspects dans sa vie. Et puis, on n'a pas pu répondre à son besoin. Elle est revenue en 2018 parce qu’elle avait besoin de faire d'autres chirurgies notamment aussi pour son visage ou pour son cou qui étaient aussi brûlés. Et puis à ce moment-là, nous, on avait évolué sur le projet. On avait un petit peu amélioré ce qu'on faisait et on commençait à avoir un peu plus d'expérience. Et là, on a pu commencer le processus pour essayer de l'appareiller. Là où on avait échoué l'année d’avant, en novembre 2018, on a pu l’appareiller. Et c'était top parce que tout de suite, elle a accepté la prothèse, même la prothèse-test - parce qu'on fait des prothèses-tests - c’est-à-dire qu'avant de mettre une prothèse définitive, on vérifie que ça se passe bien. Donc, on les fait dans un matériau un petit peu plus léger, juste pour voir si les volumes vont bien, si les mesures sont bonnes… Et elle ne voulait pas quitter sa prothèse. Elle était partie jouer avec les copines. On la lui a laissée un petit peu, mais on n'a pas voulu trop lui laisser parce qu'on avait peur aussi qu'elle casse et qu’elle s’abîme. Donc, on la lui a juste laissée quelques heures puis après, on lui a fait une prothèse définitive.
C’est une patiente qui représente bien le projet parce que ce n’est pas une patiente locale. Ce n’est pas quelqu'un avec qui on a un accès facile parce qu'elle retourne dans son pays. On la voit simplement quand elle a de nouvelles chirurgies à faire. Donc ça nous pose aussi beaucoup de questions parce que ce sont des patients qu'on ne peut pas suivre autant qu'on aimerait. Et qu'est-ce qu'on fait quand ces patients-là, ils ont une prothèse qui casse ou ils ont besoin de rééducation, parce que leurs besoins changent ? Et c'est tout à fait le cas de cette patiente-là. On l'a revue à plusieurs reprises. On a pu refaire des prothèses. On a pu changer aussi sa rééducation en fonction de ses besoins notamment à l'école, notamment aussi ses envies personnelles puisque maintenant, c’est une jeune adolescente de 13 ans. Et ça nous pose aussi toutes ces questions-là parce qu’on a aussi envie de pouvoir lui donner des soins dans son pays.
Fortes de ce succès, les équipes de La Fondation MSF étendent le programme à la conception de masques compressifs du visage pour les grands brûlés. D’abord à Amman en 2018, puis en Haïti dès 2019 et à Gaza en 2020.
Un autre versant du projet, c’est la prise en charge des patients qui sont brûlés, notamment au niveau du visage et du cou. Là encore, on s'est intéressés à une population de patients très spécifique.
On a des spécificités en plus, notamment en rééducation parce que ce sont des patients qui vont présenter, lorsqu'ils ont des brûlures graves, des séquelles esthétiques, sans aucun doute, mais aussi fonctionnelles. Quelqu'un qui est brûlé au niveau du visage va avoir du mal à fermer ses yeux, donc du coup, ça met en danger ses yeux. Il va avoir du mal à ouvrir la bouche, donc il ne va pas pouvoir s'alimenter correctement. Si le cou est brûlé, il ne va pas pouvoir bouger son cou non plus correctement et ça, c'est très handicapant pour ces patients-là dans la vie quotidienne, dans leurs représentations sociales, mais aussi fonctionnellement. Il existe beaucoup de techniques pour essayer de répondre à ça, que ce soit au niveau médical, chirurgical mais aussi en rééducation. Et ces patients-là, ils vont développer, lorsqu'ils sont brûlés, deux types de séquelles.
N'importe quel patient qui est brûlé profondément va développer des séquelles de rétraction c’est-à-dire que la peau va se rétracter et en fonction de là où c'est situé, ça va empêcher le mouvement. Si on est brûlé par exemple au niveau du cou, puisque c'est ce dont on parle, devant le cou, si c’est brûlé et que ça commence à se rétracter, la personne ne va plus pouvoir bouger son cou, ne va pas pouvoir mettre son cou en arrière ou va avoir des difficultés à tourner, etc. Cette rétraction de la peau est telle, que ça va potentiellement emmener aussi un petit peu la bouche, donc la personne ne va pas pouvoir bouger sa bouche de la même manière, etc. Et c'est pareil, c’est-à-dire que cette rétraction-là, lorsqu'elle est sur le visage, va empêcher une ouverture de la bouche et par exemple aussi la fermeture des yeux. Une autre séquelle connue chez ces patients-là, c'est qu'ils vont avoir des hypertrophies, c’est-à-dire que la peau va s'épaissir, elle va être un peu comme du carton, elle va s’encartonner et elle est douloureuse, elle gratte et voilà, elle prend du volume. Donc c'est inesthétique, c'est douloureux et ça gêne beaucoup les patients. Mais nous, dans notre panoplie de soins qu'on peut offrir à ces patients-là en rééducation, on les voit régulièrement, très régulièrement pour les étirer mais aussi pour comprimer leur peau. Alors l'étirement, ça va aider à lutter contre leur rétraction et la pression, ça va essayer de lutter justement contre l'hypertrophie cutanée.
Les grands brûlés sont pris en charge sur le long terme, avec des périodes d’hospitalisation très longues qui peuvent parfois durer plusieurs mois. Viennent ensuite la rééducation, puis si besoin, la chirurgie de reconstruction.
C'est vrai en Europe, c'est vrai sur les terrains aussi dans lesquels on travaille. Donc, on essaie d'accompagner ces patients-là. Et une des difficultés majeures notamment pour le visage et pour le cou, c'est comment appareiller ces patients. Alors, on appareille ces patients justement avec des masques de compression pour éviter qu'ils fassent des hypertrophies, ou alors pour lutter contre ces hypertrophies et essayer de gagner sur leurs douleurs, sur leurs démangeaisons mais aussi sur l'aspect de leur peau et sur la souplesse de leur peau.
Ce sont des appareillages qui sont très techniques et qui ne sont pas accessibles partout en fait. Et donc assez rapidement, on s'est posé la question de voir ce qu'on pouvait faire avec ces patients-là parce que là encore, il y avait un manque à gagner sur la plupart de nos terrains. On a des équipes qui connaissent la prise en charge des patients brûlés mais qui connaissent peu ou pas l’appareillage de ces patients-là.
Le programme 3D a permis à Pierre et ses collègues de développer une méthode spécifique pour créer des masques compressifs, en travaillant de concert avec l’hôpital Léon Bérard à Hyères, dans le sud de la France.
On n'a rien inventé. Ces masques-là, ils existent depuis le milieu du XXe siècle, mais c'est la façon dont on l'a traité pour donner accès à ces patients. Alors en utilisant la 3D, on s’est dit : on va scanner le patient. C’est-à-dire que là où avant on plâtrait le visage du patient, il faut s'imaginer que le patient qui est brûlé, on lui met des bandes de plâtre sur le visage pour avoir une empreinte de son visage pour pouvoir ensuite faire un masque. Alors chez certains patients, ça allait, mais chez d'autres, c'était vraiment très compliqué. Chez les enfants, c’était la catastrophe. Donc on s’est dit : on va scanner les patients.
Un scan, ça prend 20 à 30 secondes quand ça se passe bien. Des fois, il faut faire plusieurs prises mais c'est comme une grosse caméra et puis ça fait un petit film du visage du patient et ça crée une photo sur l'ordinateur en 3D. Si on a une photo qui est numérique, donc qui est sur l'ordinateur, peut-être qu’on peut la traiter pas forcément sur place mais potentiellement à distance. Et c’est là où on s'est dit qu'on avait une carte à jouer ; c’est-à-dire qu'on a commencé à traiter ces images-là, parce qu'il faut modifier un petit peu le visage pour essayer de permettre d'avoir un masque qui correspond bien aux pressions qu’on veut apporter sur les brûlures du patient, pour avoir une efficacité optimale.
Et on s’est dit : on va essayer de le faire sur l'ordinateur. Donc les compétences qu'on avait normalement sur du plâtre, on les a transférées sur l'ordinateur, et là encore, ce sont des choses qui existaient déjà avant, notamment chez les orthoprothésistes. Donc on a pris l'idée, on l’a mise en place et puis ça nous a permis de commencer à en faire bénéficier des patients sur les terrains. Alors au début, on était surtout avec eux. On faisait ça sur place parce que comme pour les prothèses, ce n’est pas simplement un masque ou un appareillage qu'on livre à un patient. C’est toute la prise en charge qu'il y a autour, puisqu’on vient de le dire, ce sont des patients qu’on suit pour six mois, un an et en fait, on ne peut pas se permettre de juste leur livrer quelque chose parce que ça peut être délétère, parce que s’ils le portent mal ou s’ils l'utilisent et qu'à un moment, ce n'est plus adapté, ça peut créer des gros soucis, déjà ce sont des patients sur nos terrains pour lesquels on n'a pas toujours un accès aussi régulier qu'on aurait aimé. Donc, il nous faut être d'autant plus vigilants.
Et donc dans un deuxième temps, ça nous a permis de créer des projets où on avait déjà des professionnels de rééducation pour la brûlure, donc en Haïti, à Gaza, en Jordanie, qui prennent en charge des patients brûlés, notamment du cou et du visage, et on a pu mettre en place ce principe-là. Ça nous a permis, aussi, doucement, d'autonomiser ces équipes-là. Ça a permis à ces équipes qui maîtrisaient peu la technique conventionnelle de les amener à être autonomes sur la livraison de ces appareillages-là et même à réaliser leurs appareillages par la suite.
Quatre ans plus tard, plus de 200 patients brûlés au visage et au cou ont pu bénéficier de ces appareillages innovants grâce à la technologie 3D. Cela a permis de développer un programme de rééducation pour des patients nécessitant un soin spécifique, notamment en Haïti.
En Haïti, on a un hôpital de prise en charge des patients brûlés. Une des plus grosses difficultés qu'on a là-bas, c'est d'avoir accès aux patients. Pourtant, ils vivent tous à-peu-près au même endroit mais il y a une telle insécurité que c'est difficile pour les patients de venir régulièrement en rééducation parce qu’ils se mettent en danger en fait quand ils viennent. Et là où on a besoin de les voir tous les jours, des fois, on les voit une fois par semaine, une fois toutes les deux semaines ou, des fois, pas. Donc, on a des patients, malheureusement, qu’on commence à prendre en charge et puis qu'on ne voit plus et après, ils reviennent avec de très grosses séquelles. C'est très dur parce que c'est déjà une population de patients qui sont sujets à des séquelles assez facilement et ils développent très vite des grosses hypertrophies.
On a vu une petite fille au début du projet. En fait, c'était la première patiente qu'on a eue en Haïti, c’était une petite fille qui avait des brûlures très, très graves du visage, qui a été greffée au niveau du visage à plusieurs reprises et c'est une patiente qui n’acceptait pas le plâtre du tout. Donc ça a été un soulagement d'avoir cette solution-là et de se dire : bon, on va la scanner, on va essayer de trouver une solution. Et c'était la première fois qu’en tout cas, en Haïti, on s’est dit : « Ah ! Là, on a peut-être quelque chose pour ces patients qu'on n'arrivait pas à traiter avant ». C’est une petite fille qu'on a pu suivre, pour qui on a fait plusieurs appareillages. Malheureusement, elle ne pouvait pas non plus venir très régulièrement mais je pense qu’on a limité quand même les dégâts. C’est une patiente en tout cas qui avait toute la fonctionnalité de son visage. On a pu la voir en rééducation.
Il n'y a pas beaucoup d'options. En fait, c'est du soin spécifique. Alors sans même parler de l'appareillage, si on parle juste de la rééducation des grands brûlés, il n'y a pas beaucoup d'alternatives sur le terrain. Ce n’est pas un domaine qui est très connu. Heureusement, il n’y a pas que nous, il y a d'autres associations qui connaissent très bien la brûlure. Il y a des associations qui forment aussi les personnels de santé locaux à la brûlure. Donc, on n'est pas seuls à offrir des soins, mais, dans certains endroits… On peut être les seuls et là, il n’y a pas d'alternative. Malheureusement, on le voit, on voit les dégâts de la brûlure. Même avec une bonne chirurgie, même avec des bons soins d'hospitalisation, ce sont des patients qui vont développer des séquelles. Si les professionnels de rééducation ne sont pas là pour accompagner ces patients, les traiter et éviter l'apparition de ces séquelles-là, ce sont des patients qui en génèrent. Et malheureusement, on l’a vu, on l'a expérimenté à plusieurs reprises, soit parce que les patients ne pouvaient pas venir en prise en charge, soit avec le Covid. On a eu des ruptures de soins avec le Covid. On l'a vu en Haïti, des patients brûlés pas forcément au visage, on a vu des séquelles de brûlures effroyables où les articulations étaient complètement bloquées. On avait un monsieur qui était brûlé au niveau du bras et de la main. Il est revenu des mois plus tard parce qu'on ne l’a pas repris en charge pendant la période du Covid et ça a été une catastrophe. Il ne pouvait plus ni bouger sa main, ni bouger son bras. Il ne comprenait pas, parce que quand il est sorti de l'hôpital, il bougeait bien. Et c'est ça. La brûlure, ça fait ça. On ne s'en rend pas compte parce qu’en fait, les patients, nous, on essaie de les avoir régulièrement et on essaie de faire en sorte qu'ils ne développent pas ça, mais, s'il n'y a pas ces soins-là, ils développent des séquelles très, très, très graves et les alternatives, elles sont malheureusement peu nombreuses.
Aujourd’hui, La Fondation MSF et ses partenaires continuent de développer des solutions pour équiper de prothèses et de masques compressifs les patients amputés ou brûlés. En faisant cela, elle contribue à changer radicalement la vie de centaines d’entre eux, qui retrouvent leur autonomie et leur quotidien.
Jusqu'à maintenant le projet 3D, on a travaillé sur des solutions pour les prothèses de membres supérieurs, pour les patients qui sont brûlés au niveau du visage et du cou. On a vu aussi qu'il y avait un besoin criant en rééducation. En fait, c'est un prétexte la 3D, c'est un outil. Ça nous a permis de développer un certain nombre de choses et notamment des prises en charge en rééducation, essayer d'améliorer un petit peu ce qu'on fait. Donc en fait, ça nous a permis de mettre en place des pratiques avancées en rééducation sur le terrain humanitaire. Ça, c'est quelque chose qu'on aimerait continuer à développer. Et puis on commence à faire aussi d'autres types d'applications pour d'autres parties du corps, notamment pour les mains.
L’équipe à Amman a commencé à développer des petites attelles suite à des chirurgies de reconstruction de la main. Donc ça, ce sont des choses aussi qu'on peut développer d'un point de vue plus technique. Et puis d'un point de vue plus opérationnel, un des gros enjeux notamment au Moyen-Orient, c'est qu’après un certain nombre d'années sur ce projet-là, on reçoit des patients de l'ensemble du Moyen-Orient à Amman. Ce sont des patients, à l'image de la patiente du Yémen dont on parlait un petit peu plus tôt, qui retournent dans leurs pays. Ce sont des patients du coup qu’on a des difficultés à retrouver, à voir et à suivre et ces patients-là, ça ne nous satisfait pas, parce qu’on sort de notre pratique : on n'est plus en train de leur prodiguer le soin dont ils ont besoin. Et donc ça, ça nous a toujours chagrinés, parce qu’on a un écart de soins entre les patients qui restaient sur place et ceux qui repartaient. On se demande parfois si ça vaut le coup de les appareiller si on ne peut pas les suivre correctement parce que… Est-ce que c'est bénéfique si après six mois, ils ne peuvent plus utiliser leurs prothèses ou si leurs besoins ne sont plus les mêmes ou si on ne leur apprend pas correctement à utiliser les appareillages qu'ils ont ? Donc ça, ça a toujours été une grosse problématique pour nous. Et donc là, depuis peu, on essaie de développer cet aspect-là. On a embauché quelqu'un pour retrouver ces patients, pour travailler avec ces patients et essayer de développer des solutions sur place, donc peut-être de développer d'autres projets au Moyen-Orient en fonction des autres terrains, des autres missions qui sont sur ces endroits-là.
Il y a quelques jours en Jordanie, j'ai revu un patient. C'était notre premier patient pédiatrique. On l'a eu, il n’avait pas deux ans et là, on le revoit, il a sept ans et c’est sa quatrième prothèse. Il va à l'école, il l’utilise pour l'école, c'est super !
Et puis, on a une autre jeune femme. C'était son dernier jour de prise en charge de la brûlure. Elle a été brûlée au cou, c’était très grave. Elle a eu beaucoup de chirurgies de reconstruction. Elle a eu trois masques et c’est la première…. c'étaient des masques de cou. C’est un peu plus compliqué de traiter le cou, et je me souviens de son premier masque, on l'a dessiné à distance, en visio avec les équipes. J'étais en France, l'équipe était sur place. On a fait des essayages en visio et après, l'équipe a pu faire son propre masque. Mais on a eu une prise en charge pour cette patiente-là de plus de deux ans et là, on la voit pour sa dernière prise en charge. C’est super ! Donc ça permet ça et ça nettoie un peu les doutes qu'on avait au départ. Ce n’est pas le cas de tous les patients parce que forcément, on n'a pas accès à tous mais, pour ceux-là en tout cas, ça nous conforte en tout cas dans le type de soins et le type de prise en charge qu'on peut offrir sur ce projet-là.
C’était « Révolution 3D » : un podcast produit par Médecins Sans Frontières, avec la participation de Pierre Moreau, kinésithérapeute pour la Fondation MSF.
Crédits : Musique © Richard Lacy, Sonia Slany, Glenn Sharp, Bob Bradley, Harrison Stanford, Luke Richards.