L’intégration de la rééducation pédiatrique dans la prise en charge de la malnutrition sévère
Chronique de mission à Kano, Nigéria
Au Nigéria, la malnutrition infantile constitue une urgence de santé publique. Environ 2,5 millions d'enfants souffrent de malnutrition sévère entraînant des complications médicales graves, telles que des retards neuromoteurs et des atteintes orthopédiques, en particulier dans les formes les plus graves comme le kwashiorkor. À Kano, deuxième ville du pays avec 6 à 8 millions d'habitants dans la métropole, MSF WACA soutient l'hôpital Unguwa Uku, qui prend en charge des milliers d'enfants malnutris chaque année (46 304 en 2024).
Au Nigéria, la physiothérapie est une discipline déjà bien implantée, avec des professionnels qualifiés présents dans de nombreux hôpitaux. Toutefois, l'approche spécifique de la rééducation neuromotrice du nourrisson reste encore émergente, d'autant plus dans un contexte de malnutrition.
Face à ces enjeux, la Fondation MSF a initié un projet pilote de rééducation pédiatrique à Kano, avec pour objectif d'intégrer la physiothérapie dans la prise en charge globale des enfants malnutris.
Mise en place du projet : diagnostic et structuration
Dès septembre 2024, une première évaluation a été menée sur le terrain pour analyser les besoins et la faisabilité du projet.
“Une part des patients présentent des retards neuromoteurs (par exemple ne marchent pas à 18 mois), d’autres présentent une sévère fonte musculaire, d’autre des restrictions de mobilités articulaires (notamment les patients kwashiorkor) et d’autre encore ont arrêté de se mouvoir depuis plusieurs mois. Tous ces patients peuvent bénéficier de rééducation physique avec des physiothérapeutes pour limiter les retards et améliorer leur pronostic fonctionnel futur. De plus l’activité musculaire permet un meilleur fonctionnement du système immunitaire (très diminué en cas de malnutrition) et favorise le retour de l’appétit.” - Lucile Saint-Louis, kinésithérapeute spécialiste en rééducation pédiatrique
Lucile, spécialiste en rééducation pédiatrique pour la Fondation MSF, a collaboré avec les équipes locales afin de poser les bases du programme. L'initiative a nécessité la mise en place d'infrastructures adaptées, l'acquisition de matériel spécifique et le recrutement d'une équipe de physiothérapeutes.
L'un des principaux défis a été l'intégration de cette nouvelle approche dans un parcours de soins déjà structuré, en sensibilisant les professionnels de santé à l'importance de la rééducation motrice dans la prise en charge des enfants malnutris.
Formation et implémentation de la rééducation pédiatrique
La rééducation des retards de développement est une discipline médicale encore peu enseignée dans de nombreux pays. Afin de garantir une bonne adhésion des soignants, Lucile a conçu une formation adaptée aux spécificités de la malnutrition sévère.
Cette formation comprenait :
- L'identification des signes précoces de retard de développement moteur.
- L'intégration de la rééducation dans le protocole de prise en charge de la malnutrition.
- L'utilisation du jeu et de la stimulation sensorimotrice comme outils thérapeutiques.
“Le jeu est un élément essentiel de notre pratique. Les enfants malnutris sont particulièrement craintifs et difficiles à approcher. Il faut gagner leur confiance pour qu’ils se laissent approcher dans un premier temps et qu’ils se laissent ensuite guider au fur et à mesure des séances pour finalement être à l’aise et gagner en mobilité” - Lucile Saint-Louis, kinésithérapeute spécialiste en rééducation pédiatrique
Le recrutement de deux physiothérapeutes, Fatima et Mubarak, originaires de Kano, a été une étape déterminante. Après une phase d'adaptation, ils ont rapidement pris leurs marques, alliant soins individuels et séances collectives sous un préau aménagé au sein de l'hôpital. L'acceptation par les équipes soignantes s'est faite progressivement, en constatant les progrès des enfants et l'implication croissante des familles.
Impact clinique et retour d'expérience
“Nous sommes témoins des conséquences dramatiques de la malnutrition aiguë sévère. Cela m’engage, et cela renforce aussi ma détermination à mener des actions de sensibilisation et de prévention au niveau communautaire" - Mubarak Mutawakkil, physiothérapeute
"Quand je suis arrivée ici, j’ai été surprise par le nombre d’enfants malnutris admis et la gravité de leurs retards moteurs. Mais voir leurs progrès semaine après semaine grâce à la stimulation motrice me rend fière du travail que nous accomplissons" - Fatima Abdulmajid, physiothérapeute
Depuis le lancement du programme en février 2025, plus de 150 enfants ont bénéficié de séances de physiothérapie. Les premiers résultats montrent des améliorations significatives des capacités motrices, avec des cas emblématiques, comme celui d'un enfant de 15 mois initialement immobile qui, grâce à la rééducation, a commencé à se déplacer à quatre pattes en quelques séances seulement.
“Ça peut paraitre anodin, mais voir un enfant tendre la main et saisir un jouet, est souvent signe d’une victoire pour nous” - Lucile Saint-Louis, kinésithérapeute spécialiste en rééducation pédiatrique
"C'est la première fois que je le vois jouer et bouger pendant 30 minutes d'affilée" - Mère d’un patient
L'implication des parents dans la thérapie a été un facteur clé du succès du programme. Les mères, d'abord spectatrices, sont devenues actrices de la rééducation de leurs enfants, favorisant ainsi une continuité des soins au-delà des murs de l'hôpital.
Perspectives et pérennisation du projet
“Au-delà de l’activité de rééducation en elle-même, mon approche visait aussi à centrer le soin sur l'enfant et sa famille. Un moment marquant a été lorsque la mère d’un de mes patients a surnommé Mubarak “le docteur qui chante”. Ce surnom m’a fait prendre conscience qu’un lien de confiance était en train de se créer entre les patients, les familles et cette nouvelle équipe de kinésithérapeutes” - Lucile Saint-Louis, kinésithérapeute spécialiste en rééducation pédiatrique
Après six semaines, la physiothérapie pédiatrique est désormais intégrée aux soins de l’hôpital de Kano.
Les défis restent toutefois nombreux :
- Renforcer la formation des équipes pour assurer la transmission des compétences.
- Poursuivre l'évaluation de l'impact clinique à l'aide d'indicateurs de suivi (nombre de patients pris en charge, fréquence des séances, évolution des scores neuromoteurs)
- Sensibiliser davantage les communautés locales à la nutrition et à l’importance de la stimulation précoce.
Le projet initié à Kano s'inscrit dans une dynamique de développement à long terme. L'initiative de rééducation pédiatrique dans la prise en charge de la malnutrition sévère démontre déjà son efficacité clinique et thérapeutique. Avec un suivi adapté et un engagement des équipes soignantes, elle pourrait être étendue à d'autres structures hospitalières confrontées aux mêmes problématiques.
Les équipes de La Fondation MSF reviendront d’ici quelques mois, pour une mission de suivi de l’évolution de ce programme.
