Articles

“Je suis toujours très impressionnée par nos équipes sur place qui font face à de tels risques” : Elise Tauveron, Kinésithérapeute au sein du Programme 3D, de retour d'Haïti.

Début 2022 a été lancée à Port-au-Prince (Haïti) l’étude de recherche du Programme 3D de La Fondation MSF sur les masques compressifs pour grands brûlés. Elise Tauveron, qui a accompagné les équipes sur place pendant un mois, revient sur ce lancement et  l’importance de cette étude de recherche.

Ce n’est pas la première fois que tu vas en Haïti dans le cadre du programme 3D à l’hôpital MSF de Tabarre, est-ce que cette dernière visite était particulière ?

La première fois que j’y suis allée, en 2019, je commençais à travailler sur le programme 3D. A chaque fois que j’y suis retournée, le contexte sécuritaire était toujours plus dégradé. Mais cette fois-ci, c’était vraiment différent car même les Haïtiens ne sortent plus de chez eux,  il est dangereux de se déplacer, d’aller à l’hôpital et donc d’accéder aux soins. J’ai été particulièrement marquée par cette situation catastrophique et je crois que pour la première fois, notre travail a été directement et lourdement affecté : certains  kinésithérapeutes de l’équipe arrivaient très en retard, d’autres ne pouvaient pas venir, il a fallu aménager les plannings en fonction, ce qui pour ce type de prise en charge n’est jamais simple. Les patients rencontraient également de réelles difficultés pour revenir à l’hôpital pour des soins de suivi, que ce soit des patients du service de traumatologie ou de brûlure. C’était vraiment une situation critique.

 

Vous avez lancé cette étude de recherche, peux-tu nous en dire quelques mots ? 

Nous préparons l’étude depuis deux ans maintenant. Le programme à Haïti remonte à 2019, lorsque la première visite d’exploration a été faite au sein de l'hôpital MSF de grands brûlés à Drouillard. Nous avons depuis mis en place la technologie 3D pour la fabrication des masques. Cette technologie et l’utilisation du scanner en particulier, permet de pallier le manque de professionnels de la rééducation qualifiés à leur réalisation complexe sur nos terrains, dans des situations très précaires notamment, et donc de dépasser la barrière de l’accès. 

Concrètement, le visage du patient est scanné, son empreinte est envoyée à notre partenaire expert Léon Bérard à Hyères (spécialisé dans la prise en charge des brûlures en France), qui réalise une modélisation précise et à distance (grâce à la télémédecine ndlr) sur ordinateur. Le fichier numérisé est ensuite renvoyé sur le terrain, où le moule est imprimé dans un centre équipé d’une imprimante 3D. A partir de ce moule,  un plâtre est réalisé sur lequel le masque en plastique est thermoformé. Ce masque est ensuite adapté par les équipes sur place au visage du patient : des tests sont effectués sur le patient pour ajuster l’orthèse et réaliser d’éventuelles modifications. Cette étape est technique, requiert de l'expérience, peut prendre du temps et être contraignante pour le patient. Ce que nous évaluons aujourd’hui avec l’étude c’est la capacité d’un expert extérieur (ici notre partenaire) à renvoyer un fichier dont la modélisation serait déjà adaptée numériquement, et qui ne nécessiterait plus ou peu d’intervention et d’adaptation sur le moulage en plâtre. Ce qui permettrait d’utiliser cette technologie sur des terrains où l’expertise est moindre ou peu présente.

 

Peux-tu nous expliquer pourquoi ? 

En Haïti, nous travaillons avec les équipes depuis plus de 3 ans, elles sont formées et très compétentes, notamment pour adapter le plâtre avant de le mouler. Mais sur certains terrains cette étape est très complexe à réaliser, parce que le personnel qualifié sur ce type de soins très particuliers est rare. Si tout est géré par une expertise à distance, le programme sera plus facilement déployable dans des conditions de grande précarité. Or cette méthode permet une prise en charge précoce et plus confortable que la méthode conventionnelle. Si l’étude est concluante, nous pourrons continuer de partager les apprentissages que nous avons acquis ces dernières années avec les équipes en Haïti. C’est une grande étape pour le programme 3D.

Durant le lancement de l’étude, nous avons formé les équipes et nous sommes entraînés dans les conditions d'études de recherche. Comme nous voulions comparer deux techniques de fabrication différentes, il fallait que les équipes réalisent deux masques au lieu d’un. Sur place, la formation des équipes a pris un certain temps car il a fallu qu’ils s'entraînent aux différentes étapes du protocole qui demande beaucoup de rigueur.

Pour le lancement à Port-au-Prince, j'étais sur place, avec mon collègue Pierre Moreau (coordinateur clinique du Programme 3D à La Fondation MSF, ndlr) et nous avons pu rapidement inclure une première patiente qui était volontaire pour l’étude de recherche, ça s'est donc fait tout de suite et nous avons pu ainsi lancer concrètement la recherche. Il y a eu une réelle dynamique, l’équipe en Haïti est volontaire, et nous avons inclus dans les quelques semaines suivantes 4 patients supplémentaires. 

 

Pourquoi avoir choisi Haïti pour lancer cette étude et pas Gaza, où le programme 3D sur les masques compressifs est aussi déployé ?

Je connais bien ces deux programmes pour m’y être rendue régulièrement, j’étais notamment avec les équipes à Gaza en Août l’année dernière pour les accompagner et les former. En Haïti, le contexte est un tel défi et une telle contrainte pour l’accès aux soins que cela nous semblait plus pertinent de dérouler l’étude dans le contexte finalement le plus précaire. Bien sûr, à Gaza le contexte sécuritaire est difficile aussi mais outre certains épisodes de bombardements et à la différence de Haïti, les habitants peuvent circuler dans cette petite parcelle de territoire qu’est la Bande de Gaza. En Haïti en revanche, la situation sécuritaire se dégrade dramatiquement d’année en année et cela impacte le travail de nos équipes sur place. 

Nous voulions aussi montrer que  la technologie peut se déployer et être efficace dans un tel contexte, et convaincre d’autres structures de s’en emparer ailleurs pour améliorer la prise en charge des brûlures qui reste très complexe et souvent peu investie, car demandant trop d’expertise spécialisée. La Télémedecine est une vraie chance pour donner l’accès à des masques confortables et à une prise en charge plus efficace dans de nombreux terrains d’intervention. 

 

Qu’est-ce que tu retiens au final de ta dernière visite ?

Je suis toujours très impressionnée par nos équipes sur place qui font face à de tels risques, de telles difficultés. Il y a régulièrement des problématiques pour qu’ils viennent au travail parce que certains membres viennent de très loin et ont énormément de trajets. Or ils doivent ainsi passer par des quartiers très dangereux où les routes sont parfois barrées. Certains jours, ils peuvent mettre 2h pour venir. D’autres habitent dans les quartiers dangereux du Sud de Port au Prince et doivent passer par la montagne pour venir avec des passages à pied. Ce sont des trajets éprouvants. Nous avons deux kinés, par exemple, qui habitent tellement loin que la semaine, ils restent dormir à Port-au-Prince et qu'ils ne rentrent chez eux que pour le week-end. Quand ils arrivent le lundi matin, c'est rare qu'ils arrivent à l’heure en raison de la dureté du trajet  mais surtout, ils arrivent parfois dans des états très choqués parce qu'ils ont vu des choses terribles sur leur trajet, des fusillades, des gens qui sont décédés, on a pointé une arme sur eux …. Certains de nos personnels ont dû quitter leur maison avec leur famille parce que leur quartier était trop dangereux, ils nous racontaient les balles perdues dans leur maison. Ils ont dû déménager, aller chez des proches donc ce sont quand même des conditions très spéciales. Maintenir l’étude dans ce contexte constitue un défi, les inclusions de patients peuvent se retrouver ralenties, les délais de fabrication des masques aussi et les patients reçoivent parfois leur masque tard du fait des évènements du pays. Mais leurs soins sont assurés et l’étude participe à les maintenir. Et puis l’hôpital gère aussi de la traumatologie, et reçoit de nombreux blessés, victimes des violences, dont les équipes doivent évidemment aussi s’occuper. 

C’est très dur pour tous les haïtiens, et cette situation est pire que toutes celles que j’ai vues depuis que je me rends en Haïti. Mais les équipes font tout pour maintenir le service, et sincèrement c’est incroyable le travail et leur implication sont remarquables.

  • Elise Tauveron
    Elise Tauveron
    Physiothérapeute La Fondation MSF