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Cancer du col de l'utérus : quand l'intelligence artificielle aide à mieux dépister

Le cancer du col de l'utérus est le deuxième plus meurtrier dans les pays à revenus faibles et intermédiaires (1). Au Malawi, en Afrique de l'Est, où MSF intervient, plus de 4000 femmes sont atteintes chaque année du Cancer du col de l’utérus, et près de 3000 femmes en meurent (2). Comment expliquer une telle mortalité alors que dans les pays à hauts revenus, cette maladie est facilement évitable et moins létale ? En cause notamment, un accès à la prévention et au dépistage réduit, des diagnostics pas toujours fiables.

Clara Nordon, directrice de La Fondation MSF revient d’une visite au Malawi avec les équipes MSF et nous parle du projet porté par La Fondation MSF. Nom de code : AI4CC

Q. Clara, peux-tu nous décrypter ce “nom de code” pour parler de ce projet naissant.

Clara Nordon

Ah oui ces acronymes qu’on aime bien chez MSF ! C’est en anglais. Ai pour Intelligence Artificielle, CC pour le Cancer du col. Le projet a débuté il y a maintenant trois ans. L’idée était de plancher sur un nouveau protocole amélioré du dépistage du Cancer du col de l’utérus

L’objectif : améliorer le dépistage du Cancer du col pour détecter les femmes avant qu’elles ne soient au stade du cancer et les soigner facilement. Car oui, détecté précocement, le traitement se fait immédiatement au centre de santé, c’est relativement indolore et très rapide, quelques minutes. Il ne faut donc pas « rater » ces opportunités.

Pour se faire les trois leviers sont : plus de femmes dépistées, plus précocement et plus précisément.

Nous travaillons ainsi à l’action combinée d’un test HPV très précis et accessible en termes de prix pour être passé à l’échelle et une meilleur évaluation visuelle grâce à l’appui de l’Intelligence Artificielle. Si nous y parvenons il y a un réel espoir de changer vraiment la donne sur les terrains et de sauver les vies de nombreuses femmes touchées par cette maladie.

Il faut bien s’imaginer ce que veut dire vivre avec cette maladie au Malawi : le manque d’option thérapeutique une fois qu’elle est déclarée, la douleur que cela cause, la répudiation parfois, c'est la cellule familiale entière qui est touchée dans un pays où près de 10% des adultes sont séropositifs !

Q. Comment expliquer que tant de femmes meurent encore de ce cancer au Malawi ou dans de nombreux LMIC, alors que dans les pays à hauts revenus, cette maladie est facilement évitable et peu létale ?

 Clara Nordon

Tout d’abord l’accès au vaccin HPV (Human Papillomavirus) y reste limité alors que c'est l'un des seuls vaccins qui peut prévenir d’un Cancer du col de l’utérus, un cancer grave. Ensuite le dépistage actuel, basé sur une évaluation visuelle du col est peu fiable. Même si cette méthode est peu coûteuse et a l’avantage de pouvoir être pratiquée dès le centre de santé, elle laisse trop de place à l’interprétation donc aux erreurs. Il arrive donc que des femmes ayant été dépistées repartent chez elles pour revenir quelques années plus tard avec un cancer que l’on ne peut plus traiter.

Les équipes de MSF font vraiment un travail incroyable sur le terrain et doivent trop souvent prendre en charge des femmes pour lesquelles on ne peut plus offrir d’options thérapeutiques. C’est aussi très lourd pour le personnel soignant.

Il fallait trouver un moyen d’améliorer cette stratégie de dépistage, de réduire ce gap. Ce cancer est provoqué par un virus, on doit penser cette lutte comme on pense à la lutte contre une épidémie. La vaccination et le diagnostic sont nos meilleurs alliés.

Q. Quel a été le cheminement de ce projet ?

Clara Nordon

MSF, comme le reste des acteurs impliqués sur la prévention et la prise en charge de ce cancer, était focalisé sur l’amélioration de la qualité du screening. Mais quand il existe des écarts de concordance même chez les plus experts, les marges de progression sont limitées. Début 2019, la direction médicale nous a informé d’une étude publiée par le Journal of the National Cancer Institute qui mettait en avant le potentiel de l’intelligence artificielle dans l’analyse de photos pour une détection améliorée des lésions pré-cancéreuses. Fort de notre expérience avec Antibiogo, nous avons décidé d’investiguer davantage sur le potentiel de l’IA. Pauline Choné, consultante à La Fondation MSF, nous a rejoint pour débuter ce travail.  Nous avons contacté les auteurs, dont Mark Schiffman, expert en épidémiologie moléculaire qui étudie le HPV depuis plus de 35 ans au sein du NCI ! Avec Charlotte Ngo, référente oncologie à MSF, Pauline et moi, nous étions déterminées à explorer cette piste avec eux dès le premier rendez-vous. Quand nous avons abordé la mission Malawi, ils étaient aussi immédiatement partants. Sans eux, on ne pourrait pas faire grand-chose.

Tout d’abord, nous étions d’accord pour que chacun retravaille l’algorithme et compare ensuite les résultats. Pour ce faire, nous voulions utiliser la banque d’images de col de l’utérus collectées par MSF et construire un outil d’annotation « idéal » selon les cliniciens. Nous avons formé un partenariat avec KTH (le Royal Institute of Technology en Suède) et travaillé plus d’un an sur cet outil préliminaire à l’IA ; cette phase clé que l’on nomme l’annotation du data set.

Quand nous avons fini l’outil d’annotation, le NCI nous a informé que leur algorithme était déjà achevé avec des résultats suffisamment concluant pour lancer l’étude de validation. C’est aussi ça l’innovation ! Travailler des mois et ne pas forcément utiliser le résultat. La bonne nouvelle c’est que nous allions pouvoir avancer plus vite et potentiellement pouvoir être utile aux terrains plus rapidement.

Nous avons donc orienté tous nos efforts sur la construction formelle du partenariat et l’association de MSF au Malawi ainsi qu’Epicentre à la grande étude que préparait le NCI : la PAVE study.

Ce consortium visait à mettre en place une vaste étude incluant 100.000 femmes à travers le monde pour évaluer une nouvelle approche du dépistage du Cancer du col.

Grâce aux équipes de MSF au Malawi en première ligne dans ce projet, et après validation des comités d'éthique de MSF et des autorités malawites, nous avons comme objectif d’inclure 10.000 femmes. Cette cohorte sera particulièrement intéressante dans cette étude car nous aurons malheureusement une forte prévalence de HIV+, donc potentiellement des résultats qui nous aideront également à améliorer la prise en charge pour cette population spécifique et doublement affectée.

Q. Cette nouvelle approche consiste en quoi exactement ? En quoi va-t-elle changer la situation catastrophique d’aujourd’hui sur ce cancer ?

Clara Nordon

L’introduction de deux innovations majeures sont à la base de cette étude :

  • Le dépistage systématique par un test HPV, qui va trier les femmes et identifier celles porteuses d’un HPV dit à haut risque d’évoluer en cancer rendu possible grâce à une nouvelle technologie de test plus rapide et moins chère, il sera possible pour un ministère de la santé de le passer à l’échelle
  • Une évaluation visuelle améliorée grâce à l’IA

Pour ce faire, pendant le temps de l’étude, nous pratiquerons une VIA et garderons les photos du col pour les femmes HPV+ et connecterons le statut grâce à une biopsie, raison pour laquelle la mission s’est dotée d’un véritable laboratoire d’anatomopathologie.

Ce qui est réjouissant c’est que même avant le résultat de l’étude, nous allons permettre d’avoir un meilleur screening, notamment grâce au test HPV en systématique.

 

Q. Pourquoi la Fondation MSF s’est emparée de ce sujet ?

Clara Nordon

On peut penser que 4000 femmes c’est “peu”, ou que ça ne représente pas une action d’ampleur suffisante. Mais lorsqu’on sait qu’en 2020 près de 3000 femmes sont mortes de cette maladie alors qu’on pourrait l’éviter, le chiffre importe peu. Et c’est aussi cela qui remontait du terrain, cette inégalité criante pour ces femmes face à une maladie facilement évitable ailleurs.

Notre rôle est d’être cette tête chercheuse, d’évaluer aussi ce que la technologie peut amener, de façon assez “simple” et directe à des pratiques médicales dans des contextes précaires, de ramener et adapter des pratiques, des outils. Puis le plus gros de notre travail ensuite a été de « monter » un projet en puisant dans les meilleures ressources accessibles en interne comme en externe. C’est organiser une façon de travailler avec plusieurs groupes, de différents background, culture…pour un même objectif. C’est ce qui est si passionnant et enrichissant aussi.

 

Q. Quelles sont les prochaines grandes étapes ?

Clara Nordon

Notre étude débute à Blantyre en mai 2023. Cette étude prospective durera 12 mois et viendra nourrir l’étude PAVE. A la fin de l’année 2024, les résultats de l’étude PAVE de l’ensemble du consortium (sur les 100.000 femmes donc) seront connus. Si les résultats sont concluants, le NCI recommandera que ce nouveau protocole soit promu et utilisé dans tous les LMIC. Nous espérons à terme un changement de protocole du screening dans tous les LMIC, l’impact serait alors significatif au niveau mondial.

 

 

(1) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7400218/ 

(2) https://www.wcrf.org/cancer-trends/cervical-cancer-statistics/